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jeudi 22 novembre 2018

Faut-il attendre de l'Etat la réponse de fond à la colère des gilets jaunes ?

Pour quelques gouttes de carburant, nos ronds-points s’embrasent. Comparée aux enjeux de notre temps comme le réchauffement climatique ou la montée des haines, la cause des gilets jaunes paraît bien dérisoire. Pourtant je ne peux pas l'ignorer, car elle cache un motif bien plus profond. Deux questions tournent dans ma tête ces derniers jours et me poussent à reprendre la plume :
  • Qu'est-ce qui provoque une telle colère chez un grand nombre de Français habituellement discrets ?
  • Comment pouvons-nous résoudre durablement ses causes profondes ?
Je ne prétends pas connaître la réponse à ces questions, je vous partage ici les réponses qui me viennent. 

Un mode de vie menacé

Je soutiens le gouvernement pour l'alignement des taxes entre essence et diesel (qui me touche également puisque mon métier me met souvent sur la route) et la proposition de primes à la conversion conséquentes (dont je ne pourrais pas bénéficier personnellement), il serait hypocrite de vous laisser penser le contraire. Je suis convaincu que nous avons besoin d'adopter rapidement des véhicules moins polluants et de réduire notre consommation de produits pétroliers. Je crois qu'aucune personne sensée ne contredira ce besoin. Alors pourquoi se battre pour un diesel moins cher ?
Le carburant est une ressource indispensable au mode de vie de nombreux Français. Ils ne peuvent pas ou ne veulent pas vivre près de leur emploi, travailler près de leur domicile. Leur voiture absorbe leurs revenus autant qu'elle les permet. Elle est à la fois un outil de liberté et de servitude. La remplacer impose des sacrifices, s'en passer est exclu.
Alors lorsque l'Etat qui nous a prescrit pendant des décennies le diesel comme un carburant vertueux change subitement d'avis, de nombreux citoyens se sentent trahis et menacés. Peu importent les dispositifs qui accompagneront la transition, la société écologique semble avoir été imaginée par les urbains pour les urbains. La défense du climat et de la qualité de l'air devient une mise en accusation des Français qui ont choisi ou subi un mode de vie indissociable de la voiture.
Je comprends le mouvement des gilets jaunes comme le cri de citoyens qui veulent que la France de demain se construise avec eux plutôt que contre eux. 

Un système absurde

Le comble, c'est que notre logique économique a construit ce mode vie aujourd'hui menacé. L'emploi et le commerce sont concentrés dans des grands ensembles (quartiers d'affaires, zones industrielles, zones commerciales) souvent éloignés les uns des autres. Le logement se renchérit à mesure que les infrastructures (routes, gares ou transports en commun) le rapproche de ces lieux de vie. Le coût de l'immobilier et l'allongement des trajets augmentent notre PIB à mesure qu'ils dégradent notre qualité de vie.
Les zones rurales, qui sont notre patrimoine territorial et alimentaire, se vident à la suite des loisirs, des commerces, des médecins et des services publics partis chercher des populations denses.
Nous devons sortir de la dynamique de concentration des activités et des personnes qui impose des déplacements toujours plus longs. 

Un territoire à soigner

Je crois que la vrai réponse à la colère des gilets jaunes est un aménagement du territoire qui respecte la qualité de vie et l'environnement dans les espaces ruraux et périurbains. Nous devons diminuer notre dépendance au carburant en multipliant les lieux de travail, de consommation, de loisirs et de services au plus près chacun. Nous devons mesurer et réduire les trajets qui s'imposent au quotidien dans leur durée, leur coût et leur impact environnemental. Ce n'est pas seulement la responsabilité de l'Etat, mais celle de nos régions, nos intercommunalités et nos communes.
Alors que l'industrie a compris depuis longtemps que la flexibilité est meilleure que la taille, les services publics restent dans une logique de concentration et d'économies d'échelle. La voiture a façonné un territoire centralisé, nous pouvons façonner avec les technologies de l'information une France de la proximité. 

L'exemple lyonnais

C'est la transformation que je constate depuis plusieurs années dans la Métropole de Lyon. Gérard Collomb a amorcé ce changement par une action simultanée sur l'habitat, les transports et les lieux d'activité.
Après une phase de rattrapage pendant lesquels métro et tramway ont désenclavé des quartiers comme le mien (Gerland), l'extension des transports en commun accompagne et oriente la densification de l'espace urbain. Ils connectent en particulier nos pôles de santé, répartis dans la métropole et proposent des parkings relais à leurs extrémités(vite saturés tant le besoin est grand).
Plusieurs quartiers centraux se transforment pour accueillir une population croissante, par exemple Gerland voit sa population augmenter de 1000 habitants par an. Malgré la pression immobilière, les familles peuvent toujours se loger dans Lyon avec des solutions adaptées à chaque situation.
L'action la plus marquante concerne les espaces d'activités. Des centres de loisirs et de commerces conçus pour les piétons ont vu le jour à Vaise (nord), Vaulx-en-Velin (est) et Confluence (sud-ouest). Les quartiers d'affaires se multiplient autour de ces secteurs. Les parcs et les espaces verts jalonnent la ville, de nombreuses communes de la métropole soignent leur propre centre-ville pour que partout vivent les commerces de proximité.

C'est un travail long et peu visible à court terme, à chaque opération les commentateurs guettent l'échec. Pourtant je suis convaincu que la transformation du territoire doit continuer dans ce sens, pour ramener emploi et services plus près de ceux qui affrontent chaque jour les bouchons aux portes de la ville.
Les régions, responsables du développement économique, de l'aménagement du territoire et des transports, doivent prendre leur part de ce travail. Sans cela, la qualité de vie hors des métropoles continuera de dépendre des cours du pétrole.

vendredi 16 juin 2017

Un candidat, c'est plus qu'une étiquette

En cette campagne de deuxième tour, j'entends candidats et journalistes expliquer qu'une majorité En Marche à l'assemblée donnerait les pleins pouvoirs à Emmanuel Macron. C'est assez amusant quand les mêmes "analystes" nous ont expliqué qu'il ne fallait pas l'élire président car il n'aurait pas de majorité.
Ces gens veulent nous faire croire que les candidats En Marche, faute d'un long parcours dans un vieux parti, sont des béni oui oui incompétents. Certains vont jusqu'à expliquer qu'une chèvre avec l'étiquette En Marche pourrait gagner. Or les enquêtes journalistiques soulignent un réel effort de notre mouvement pour représenter la société et présenter des candidats de qualité.
J'ai participé dans mon quartier à la campagne de Thomas Rudigoz. Je sais que s'il est élu nous aurons un député attaché à Lyon et aux Lyonnais. Je suis heureux de voter pour lui en tant que personne et pas en tant que porte-étiquette.

Notre candidat est né à Lyon. Après un début de carrière dans le journalisme, il s'est impliqué dans la politique lyonnaise auprès d'Anne-Marie Comparini et de Raymond Barre, puis de Gérard Collomb. Dans son parcours il a montré un ancrage loyal au 5e arrondissement dont il est aujourd'hui le maire. J'ai été frappé par son humilité, son écoute et sa curiosité. Le maire et le candidat s'effacent vite derrière le citoyen lyonnais qui s'intéresse aux habitants et aux besoins de sa circonscription. Lorsqu'il se présente aux électeurs, c'est sans s'attendre à être reconnu et avec l'envie de les connaître. Cette attitude me convainc qu'il sera un député à l'écoute et surtout présent pour rendre compte de son action.
Dès notre première discussion à propos de cette campagne, Thomas Rudigoz m'a parlé des valeurs humanistes de notre circonscription. Qu'Emmanuel Marcon gagne ou perde les présidentielles, il voulait que nous soyons représentés par une personne qui porte notre identité d'ouverture, de mixité sociale et culturelle. Il m'a aussi parlé de défendre ses convictions face aux citoyens et face aux intérêts privés, de défendre les lois et les amendements qu'il portera parce qu'il sera persuadé de leur utilité. 

Je crois que nous ne sommes pas uniquement appelés à donner une majorité plus ou moins large à notre Président ce dimanche. Nous avons l'occasion de comparer des personnes avec un parcours, des convictions et des projets. A nous de choisir lequel sera notre voix pour orienter l'avenir de notre pays les 5 prochaines années. Je crois que Thomas Rudigoz est un bon choix, qu'on ait ou pas voté pour Emmanuel Macron au premier tour des présidentielles.



mercredi 3 mai 2017

Oui, un Chrétien peut voter pour Emmanuel Macron sans "perdre son intégrité"

Je n'ai pas l'habitude d'évoquer mes convictions religieuses dans les questions politiques. Je les considère hors sujet. Je sens pourtant la nécessité de réagir aux propos que je lis et j'entends de la part de quelques Chrétiens au sujet du 2e tour des présidentielles.
Le 28 avril, un article du site infochretienne.com (dont le contenu est loin de représenter la pensée chrétienne) allait jusqu'à affirmer "si votre bulletin ce jour-là n’est pas blanc, il emportera avec lui votre intégrité, votre honneur et votre lumière". Je suis choqué par une telle injonction car la foi n'est pas une conviction politique, et réciproquement. Chacun doit décider ce qui lui semble bon pour le pays dans lequel il vit. Jésus lui-même a affirmé devant Pilate "Mon royaume n'est pas de ce monde" (Jean 18 : 36). Dès lors l'instrumentalisation de la foi chrétienne à des fins politiques est une manœuvre humaine qui prend le nom de Dieu en vain.
Ces dernières années, ceux-là même qui dénoncent le communautarisme ont développé un clientélisme à destination d'une communauté de Chrétiens. Ils véhiculent l'image d'une religion obnubilée par la réduction des droits des femmes et des homosexuels. Cette image est complètement fausse.

Je tiens donc à expliquer pourquoi un Chrétien peut soutenir Emmanuel Macron sans perdre son intégrité. Je le fais à titre personnel en tant que Protestant évangélique. Je refuse évidemment d'indiquer ce que devrait faire un "bon Chrétien" dimanche prochain. Chacun devra suivre sa conviction, car "tout ce qui n'est pas le produit d'une conviction est péché" (Romain 14:23).

Commençons par ce qui freine certains de mes coreligionnaires. 
Il y a certes des éléments du programme d'En Marche qui ne correspondent pas à l'application politique du mode de vie chrétien. Je relève notamment les dispositions du chapitre Famille et Société. Ce dernier commence par la phrase "Il n’y a pas un modèle unique qui représenterait la « vraie » famille." qui est interprétée par certains comme une attaque contre leur conception du monde ou leurs choix personnels.
Il faut tout d'abord garder à l'esprit qu'en la matière d'une part les droits octroyés aux uns ne retirent rien aux autres, d'autre part l'Etat doit faire avec les choix personnels de chacun, pas les contraindre.
La notion de famille n'est pas une abstraction, c'est une réalité fondamentale de notre organisation sociale. La fragilité des structures familiales dans l'Europe contemporaine est une source de préoccupation légitime tant elle peut générer de souffrances. Ces questions méritent un dialogue ouvert et apaisé. 
L'opinion des croyants n'est pas moins légitime que les autres et j'entends la désapprobation de certains sur ce point. Doit-il être la seul boussole du vote chrétien ? Non. 

Notre foi implique une responsabilité particulière envers l'environnement. Nous croyons que Dieu a créé le monde et qu'il nous en a confié le soin. Je ne reprendrai pas une démonstration que d'autres ont faite avec bien plus d'inspiration que moi, notamment le pape François. 
Avec la proposition d'un "Grenelle de l'alimentation" et une politique environnementale ambitieuse, Emmanuel Macron peut garder à la France son rôle de leader mondial dans le domaine. Notre pays doit non seulement montrer l'exemple par son volontarisme, mais aussi par la démonstration qu'une société respectueuse de la création n'est pas moins heureuse ou prospère que les autres. N'oublions pas que les plus gros pollueurs du monde ne suivront notre voie qu'à ces conditions. 

Le soin accordé à l'exclu et à l'étranger n'est pas une question négligeable. Notre Seigneur lui-même a migré en Egypte dans son enfance, il est né dans une étable, issu d'une minorité méprisée dans son pays : "Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon?" (Jean 1:46). 
S'il y a en France une part conséquente de la nation mue par la peur de perdre ce qu'elle a, il y a aussi des millions de personnes déjà mises au ban de la société. Protéger les premiers tout en permettant aux seconds de trouver une place et de s'y épanouir est l'un des plus grands défis de notre siècle. 
Emmanuel Macron propose une augmentation inédite des ressources consacrées à l'éducation dans les quartiers en difficulté. La souplesse qu'il offre aux établissements de l'Education Nationale permettra à chacun de s'adapter aux besoins de ses élèves. Il ne faut pas niveler notre jeunesse par le bas en sabotant les filières d'excellence. Il faut au contraire la tirer vers le haut, accorder à chacun l'attention dont il a besoin pour découvrir et révéler son potentiel. C'est ce que permet le développement de l'alternance et de l'entrepreneuriat.  
Un Chrétien doit-il accepter que son pays se mure derrière ses frontières quand le monde saigne ? Je ne le crois pas. En Marche veut que notre nation ait un comportement responsable face à la crise migratoire qui frappe la Méditerranée.

La laïcité est la liberté qui nous touche le plus directement. Elle peut être instrumentalisée pour étouffer le dialogue religieux et l'annonce de la Parole. C'est la tentation de nombreux hommes et femmes politiques. Elle se décline de deux manières. La première est une laïcité tabou, qui ne laisse aucune place aux convictions religieuses dans la société. La seconde est une laïcité à plusieurs vitesses, qui affirme la place dominante du Catholicisme dans la culture française et traite les autres religions selon leur "compatibilité" avec ce point de référence. 
Très tôt, Emmanuel Macron a adopté un discours différent sur ces questions. Il prône une laïcité protectrice de notre liberté de conscience, dans laquelle "La République doit permettre à chacun de vivre dans l’intensité de ses convictions dès lors qu’elles n’interfèrent ni avec celles d’autrui ni avec les règles communes". J'aime la formule "dans l'intensité de ses convictions" : la foi n'est pas un accessoire de la pensée, elle est intense.
Je défends cette conviction car seul le dialogue ouvert permet que chacun puisse chercher Dieu et que les mensonges prêchés par certaines sectes soient confrontés à la lumière.

S'il faut regarder un programme dans son ensemble pour se forger une conviction, il faut également observer les comportements de nos candidats. Cette campagne a été particulièrement marquée par la diffusion de fausses informations, les injures, la recherche d'ennemis, la violence verbale et parfois physique contre les médias. Emmanuel Macron en a particulièrement fait l'objet, accusé des pires vices pour avoir exercé un métier financier. Je me suis exprimé à ce sujet sur ce blog.
Pourtant ce candidat a toujours refusé les hués dans ses meetings. Il a fait applaudir les candidats éliminés au soir du premier tour. Il n'a pas fait de promesses fantaisistes et intenables, même devant les ouvriers de l'usine Whirlpool. Jugeons les faits, pas les images calomnieuses véhiculées par les réseaux sociaux.

Je ne peux pas finir sans un mot sur le vote blanc, prôné par infochretienne.com. Voter blanc ne dégage pas les électeurs de leurs responsabilités. C'est au contraire le choix assumé de laisser n'importe lequel des candidats accéder au pouvoir. C'est exprimer la conviction que les deux projets proposés aux Français sont également bons ou mauvais. En l’occurrence c'est affirmer que le socio-libéralisme et le nationalisme se valent.



Ainsi je soutiendrai Emmanuel Macron dimanche 7 mai, puis aux législatives et si les Français le veulent, pendant les prochaines années, sans pour autant perdre mon intégrité.

mercredi 26 avril 2017

Confier la France à un banquier ?

Je lis et j'entends autour de moi qu'il ne faut pas confier la France à un banquier. Certains mettent même à égalité le fait d'avoir été banquier et celui d'être ouvertement xénophobe.
Je disais en 2008, à ceux qui croyaient que la crise était passée : "on mesurera son ampleur lorsque la foule s'en prendra aux traders". Nous y sommes, tout notre système économique et malade et on cherche frénétiquement un coupable à défaut de remède. Des charlatans prospèrent en proposant comme solution les méthodes mêmes qui nous ont mis dans cet état : la création monétaire, l'inflation, la relance par la consommation, la guerre économique entre Etats européens. Ils nous semblent pourtant dignes de confiance puisqu'ils n'ont jamais travaillé dans l'économie réelle.
Source : http://www.la-croix.com/France/Politique/CHRONOLOGIE-Emmanuel-Macron-grandes-dates-parcours-2017-04-19-1200840584
Oui, le fonctionnement actuel et le manque de régularisation de la finance posent problème. Est-ce que pour autant tout ceux qui travaillent dans ce domaine sont des monstres avides ? Non.

Je veux vous partager un témoignage personnel, car j'ai été confronté il y a quelques années à ce préjugé. Je fais partie de ceux qui ont choisi d'étudier la finance car je suis convaincu que la France a besoin de telles compétences pour sortir du marasme, je crois que c'est aussi le cas d'Emmanuel Macron. Je vous rappelle qu'il a passé dans son parcours 4 ans dans une banque d'affaires et le reste au service de l'Etat. Pourquoi ne le nomme-t-on jamais "l'ancien inspecteur des finances" ? Par calcul politique.

A 23 ans, un groupe français m'a confié le contrôle de gestion d'une filiale de 600 salariés en Hongrie. Lorsque je suis arrivé sur place, mes collègues Hongrois qui s'occupaient d'une autre filiale m'ont expliqué qu'on m'envoyait vers un bastion anti-groupe et anti-français. J'ai eu le rare privilège qu'on me pose la fameuse question "il n'y a pas de travail dans ton pays ?". J'ai senti l'animosité dans les regards, qu'une collègue m'a expliqué à la fin de ma mission "quand ils te regardent ils voient un billet vert qui marche". 
J'avais 6 mois pour mettre en place un contrôle de gestion transparent et rétablir la confiance entre le groupe et sa filiale. Si j'échouais, je sentais que cette filiale risquait d'être vendue. Nous étions en 2009, au cœur d'une crise économique que je savais durable. 
Ma première mission était de détailler le contenu d'un plan d'économies déjà annoncé par la direction. Ma filiale avait annoncé la suppression de 9 postes et ma première visite officielle visait à comprendre comment cela serait fait. Je me suis installé face au directeur et à sa responsable financière, un traducteur entre nous, puis nous avons engagé une discussion tendue. Ce qui m'a vraiment marqué est arrivé lorsque mes interlocuteurs sont sortis chercher des documents. Le traducteur s'est alors tourné vers moi :
"Je profite que nous sommes seuls pour vous poser une question. En tant que traducteur je ne peux exprimer que les questions et les opinions des autres dans la conversation, mais je suis curieux. Est-ce que vous aimez ce que vous êtes en train de faire ? Est-ce que vous y prenez du plaisir ? Je comprends que vous êtes jeune et ambitieux, mais est-ce ce que vous voulez faire de votre vie ?"
A 23 ans, à peine sorti de l'école, en voilà une bonne question. Je suis reconnaissant à cet homme pour sa franchise, car bien des gens s'interrogent de la même manière sur les financiers et restent sur leur préjugé. Voici ce que je lui ai répondu après trois secondes de silence.
"Dans mon métier il y a des gens qui cherchent l'intérêt des salariés et de l'entreprise. Il y a aussi des requins qui ne pensent qu'à eux et à l'argent. Je suis ici pour faire les choses le mieux possible dans l'intérêt de tous. Je viens aujourd'hui avec l'idée d'accompagner vos suppressions de postes par des redéploiements dans des activités rentables pour ne licencier personne. Si je laisse ma place à un autre, vous aurez face à vous un requin qui n'essaiera pas de vous comprendre et de vous défendre, il se contentera de vous faire licencier 9 personnes, n'importe lesquelles."

Lorsque j'ai fait mon reporting à la direction financière du groupe, elle était surprise de recevoir de notre part le plan d'économies le plus clair de toutes les filiales. Elle a tout accepté en l'état. 6 mois (et aucun licenciement) plus tard nous étions reconnus comme un modèle de transparence et une entreprise bien gérée. 

Travailler dans la finance n'est pas toujours facile, comme bien d'autres professions d'ailleurs. Le faire avec bienveillance est encore plus dur car il ne faut attendre aucune reconnaissance. J'ai pourtant croisé dans ce métier plus d'hommes et de femmes intègres que dans beaucoup d'autres. La rigueur mathématique qui nous pousse vers un métier de chiffres s'accompagne souvent d'une forte rigueur morale. Un directeur m'a un jour reproché d'être "rigide comme un pasteur protestant". Je l'ai pris comme un compliment.
Alors traiter quelqu'un qui a œuvré 4 ans dans la banque d'affaires comme un pestiféré, cela véhicule l'idée qu'il faut réserver ces tâches à des gens sans foi ni loi. Réduire une personne à un métier (qu'il n'exerce plus depuis plusieurs années d'ailleurs) ce n'est pas mieux que la réduire à ses origines. Certains diront peut-être "oui mais lui ce n'est pas pareil" ou "oui mais toi ce n'est pas pareil". C'est comme ces gens qui disent "je n'aime pas les étrangers mais toi ce n'est pas pareil". Eh bien si, c'est pareil.